FLAUBERT, Gustave (1821-1880)

Los 72
05.07.2023 13:00UTC +01:00
Classic
Verkauft
€ 1 512
AuctioneerCHRISTIE'S
VeranstaltungsortFrankreich, Paris
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ID 991061
Los 72 | FLAUBERT, Gustave (1821-1880)
Schätzwert
€ 6 000 – 8 000
FLAUBERT, Gustave (1821-1880)
Lettre autographe signée "ton G" [à Louise Colet]. [Croisset] : datée "lundi soir, 1h", [2 janvier 1854].
4 pages in-4 sur bi-feuillet (246 x 191 mm), à l'encre brune sur papier. Plusieurs passages soulignés, ratures et passages barrés.

Passionnante lettre autographe à sa "pauvre chère Muse", un an avant leur rupture en mars 1855 : Flaubert se confie sur l'écriture de Madame Bovary et dessine les contours de Salammbô, tout en commentant les oeuvres de leurs amis communs, parmi lesquels Victor Hugo et Louis Bouilhet.

"Je tourne beaucoup à la critique. Le roman que j'écris m'aiguise cette faculté. — Car c'est une oeuvre surtout de critique, et d'anatomie. Le lecteur ne s'apercevra pas (je l'espère) de tout le travail psychologique caché sous la Forme, mais il en ressentira l'effet."

Lorsque Flaubert écrit cette lettre, sa liaison avec l'écrivaine et poétesse Louise Colet, de dix ans son aînée, prend à nouveau une tournure houleuse. Après deux années de passion orageuse entre 1846 et 1848, Flaubert lui enverra une lettre de rupture et partira en Orient sans avoir repris contact. Il faudra attendre son retour, en juillet 1851, pour qu'ils renouent une relation d'ordre épistolaire et s'accordent à nouveau des rencontres trimestrielles. Leur correspondance, considérable, traite beaucoup de littérature : les deux écrivains travaillent ensemble par lettres interposées, détaillent leurs lectures, et Flaubert s'agace lorsque Colet refuse de modifier ses textes selon ses suggestions. Dans cette lettre de janvier 1854, il promet à sa maîresse une relecture attentive de son livre à paraître : "Quant à la Servante [seconde partie du Poëme de la femme de Louise Colet, publié en 1854], je ne sais pas si elle est à Rouen ? [...] N'importe, j'espère bien mercredi au plus tard avoir ton paquet. Je le lirai avec soin, d'abord en masse, pour voir l'ensemble, puis en détail, puis en masse et je te ferai de longs commentaires, le plus expliqués possible. J'y mettrai, pauvre chère Muse, tout mon coeur et tout mon esprit, n'aie aucune crainte."

L'ermite de Croisset se confie ensuite sur l'avancée de ses propres écrits, travaillant encore à la rédaction de Madame Bovary : "J'ai eu B[ouilhet] vendredi soir, samedi matin et hier matin. [...] Nous n'avons guère jusqu'à présent eu le temps de causer de nous. Tout a presque été employé aux Fossiles [poème de Bouilhet] et à la Bovary." Poète et ami de Flaubert, Bouilhet est un habitué des dimanches après-midi chez l'écrivain dans la campagne rouennaise, et aidera les deux amants à relire et corriger leurs textes respectifs. Flaubert s'attarde sur son processus d'écriture et évoque ses difficultés à remanier un passage du roman, certainement la conversation qui précède la promenade des deux amants : "[Bouilhet] a été content de ma baisade. Mais, avant le dit passage, j'en ai un de transition qui contient 8 lignes, qui m'a demandé 3 jours, où il n'y a pas un mot de trop, et qu'il faut, pourtant, refaire ! encore ! parce que c'est trop lent. C'est un dialogue direct qu'il faut remettre à l'indirect, et où je n'ai pas la place nécessaire de dire ce qu'il faut dire, tout cela doit être rapide et lointain comme plan ! tant il faut que ce soit perdu et peu visible dans le livre ! — Après quoi, j'ai encore trois ou quatre autres corrections, infiniment minimes, mais qui me demanderont bien toute l'autre semaine : Quelle lenteur ! quelle lenteur ! N'importe, j'avance. [...] C'est si difficile de défaire ce qui est fait et bien fait, pour fourrer du neuf à la place sans qu'on voie l'encastrement."

Impatient d'achever Madame Bovary pour se consacrer à son roman suivant, Flaubert fait allusion au décor de Salammbô : "Et d'une autre part je suis entraîné à écrire de grandes choses somptueuses, des batailles, des sièges, des descriptions du vieil Orient fabuleux. J'ai passé jeudi soir deux belles heures, la tête dans mes mains, songeant aux enceintes bariolées d'Ecbatane [capitale de l'Empire médique]. On n'a rien écrit sur tout cela ! Que de choses flottent encore dans les limbes de la pensée humaine ! — Ce ne sont pas les sujets qui manquent, mais les hommes."

Tour à tour, il commente les oeuvres de Louis Bouilhet, Petrus Borel et Victor Hugo. Ce dernier, désigné sous le nom de code de "Crocodile", tenait l'oeuvre de Louise Colet en haute estime et utilisait Croisset comme boîte aux lettres en France. Si Flaubert s'extasie d'abord devant un poème des Châtiments, il n'hésite pas à se montrer plus critique vis-à-vis d'autres pièces du même recueil : "J'ai lu Les Abeilles que tu m'as envoyées [il s'agit du poème intitulé "Le Manteau impérial"] — C'est raide, d'idée surtout. — Et je trouve les mouches de Montfaucon splendides. Quant à l'Expiation, quel dommage que ce soit bâclé ! Tout le Vaterloo (sic) est stupide, mais La Retraite de Russie et Sainte-Hélène (à part des taches, nombreuses) m'ont plu extrêmement. On eût pu faire de cela quelque chose d'aussi beau que Le Feu du ciel. N'importe, ce bonhomme est un grand bonhomme et un très grand homme."

Enfin, Flaubert s'attarde sur deux faits divers sordides ayant eu lieu en région rouennaise, et s'indigne face à l'afflux de paysans venus assiter à l'exécution d'un criminel : "L'affluence était telle que le pain a manqué. Ô suffrage universel ! Ô sophistes ! Ô charlatans ! Déclamez donc contre les gladiateurs et parlez-moi de Progrès ! Moralisez ! Faites des lois, des plans ! Réformez-moi la bête féroce." Évoquant la relation charnelle passionnée entre Bouilhet et sa maîtresse Edma Roger des Genettes, dite "la Sylphide", Flaubert en tire une ligne de conduite à suivre pour tout écrivain : "Laissez l'exaltation à l'élément musculaire et charnel, afin que l'intellectuel soit toujours serein. Les passions, pour l'artiste, doivent être l'accompagnement de la vie. L'art en est le chant. Mais si les notes d'en bas montent sur la mélodie, tout s'embrouille". Il conclut sa lettre avec tendresse : "Maintenant je pose ton doigt à une place secrète, ta pensée sur un coin caché, et qui est plein de toi-même, et je vais m'enodrmir avec ton image et en t'envoyant mille baisers. À toi. Ton G."

Correspondance, II, pp. 496-499.

[On joint :]

COLET, Louise (1810-1876)
Lettre autographe signée [à son éditeur], datée "dimanche soir" [1868].

3 pages in-8 sur bi-feuillet (203 x 132 mm), à l'encre brune sur papier avec monogramme "LC" .
La poétesse et écrivaine y évoque son roman à paraître et ses contributions à plusieurs journaux : "Je vous envoie terminés au plus vite Les Derniers abbés. J'ai à revoir une seconde épreuve et vous savez combien cela est long."

A fascinating autograph letter to Louise Colet, a year before they broke up in March 1865: Flaubert confides in her about writing Madame Bovary and outlines Salammbô, while commenting on the works of their mutual friends, including Victor Hugo and Louis Bouilhet.
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