[RIMBAUD, Arthur (1854-1891) & Paul VERLAINE (1844-1896)] - ...

Lot 86
03.11.2020 14:30UTC +01:00
Classic
Vendu
€ 200 000
AuctioneerCHRISTIE'S
Lieu de l'événementFrance, Paris
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ID 420819
Lot 86 | [RIMBAUD, Arthur (1854-1891) & Paul VERLAINE (1844-1896)] - ...
Valeur estimée
€ 70 000 – 100 000
[RIMBAUD, Arthur (1854-1891) & Paul VERLAINE (1844-1896)] - RÉGAMEY, Félix (1844-1906). Lettre autographe signée à son frère Frédéric Régamey, illustrée d'un double portrait de Rimbaud et Verlaine. Londres, le 13 septembre 1872.



Fascinante redécouverte rimbaldienne.



Unique dessin montrant Verlaine et Rimbaud ensemble pendant leur fameuse "fuite" de 1872.



4 pp. (228 x 188 mm) sur un double feuillet avec en-tête un cachet rouge « FR London 1872 », à l’encre bleue avec retouches à l’encre noire et bistre.



Lettre de Félix Régamey à son frère Frédéric Régamey, alors que le premier est à Londres.

Félix écrit à son jeune frère pour l’aider à publier ses dernières créations tout en le mettant en garde contre la vie littéraire française et parisienne. Frédéric, le jeune frère de Félix, est artiste, illustrateur et graveur et cherche à faire publier certaines de ses œuvres : « (…) quant à ton inquiétude de ne rien trouver à faire pour le journal je la qualifierai de candide – est-ce que tu vas t’imaginer que tu lui dois quelque chose au journal ? parce qu’il t’a fait une politesse. Voici mes ordres : - à peine de retour à Paris tu extrais de ton carton tout ce que tu rapportes de ton voyage, dessins croquis, notes etc et tu en fais un paquet que tu m’envoies illico – des renseignements y sont joints pour compléter les choses inachevées. Je reçois tout cela que je te renvoie immédiatement après avoir soumis à L’Illustrated [News of London] qui certainement ne peut manquer de prendre quelque chose dans le tas. Il n’y a aucun scrupule à avoir, au lieu de 20f tu en recevras 50 ».



Félix Régamey poursuit son commentaire de la vie littéraire parisienne, mentionnant la représentation de Ruy Blas, avec Sarah Bernhardt en vedette, de « François-Victor », de nouveau autorisé depuis la chute du Second Empire : « Si tu as envie d’aller au théâtre, fais demander des places par François, en lui rappelant ce détail. Il devra te fournir une Année Terrible toute neuve (étant seul responsable de la perte, il faut être très sévère sur cet article) et tu iras le faire signer par le maître par le canal d’Ernest [d’Hervilly] ou de Camille [Pelletan] ».



Il poursuit en lui donnant quelques nouvelles de son quotidien londonien et de sa rencontre avec Verlaine et Rimbaud.



Fascinante redécouverte rimbaldienne. « Maintenant, devine qui j’ai sur le dos depuis trois jours. Verlaine et Rimbaud – arrivant de Bruxelles – Verlaine beau à sa manière. Rimbaud, hideux. L’un et l’autre sans linge d’ailleurs. Ils se sont décidés pour le Gin sans hésitation – moi il est entendu que j’ai horreur de la boisson… Différant sur ce point et sur d’autres il y a gros à parier que nous ne resterons pas longtemps compagnons. Le garçon qui me parle de sa femme comme d’une petite fille à qui il pardonne. Après ce que m’ont dit plusieurs personnes de sa conduite à commencer par toi et pour finir il y a quelques jours par cet imbécile de Dieudonné, ce peintre vague, aux pouces bizarres, ami de Sivry ? et ancien légionnaire – sans képi – qui passait par Londres et que j’ai rencontré sur un omnibus. Triste – Triste ! ».



Ce court paragraphe est illustré en marge du célèbre portrait de Verlaine avec sa canne, son cigare et son journal, regardant par-dessus son épaule, Rimbaud, légèrement voûté, sa pipe à la main. En arrière-plan se tient un « bobby », gendarme anglais, à l’air patibulaire sous son casque, sa matraque pendant à son côté droit, regardant le couple d'un regard inquisiteur.



Ce dessin a été sans cesse reproduit. Il participe de la mythologie rimbaldienne et de l’image du « couple maudit » formé par les deux poètes. Il s’agit également de L’UNIQUE DESSIN MONTRANT VERLAINE ET RIMBAUD ENSEMBLE pendant leur fameuse fuite entre 1872 et 1873, une des périodes créatrices majeures de Rimbaud.

D’abord connu grâce à l’ouvrage Verlaine dessinateur publié par Félix Régamey en 1896, peu de temps après la mort de Verlaine, il y est reproduit page 25 et est accompagné d'une note de l’artiste reprenant dans les grandes lignes la lettre à son frère Frédéric : « Maintenant nous sommes à Londres. Le 10 septembre 1872 – en cet atelier de Langham Street, où j’ai pu si bien travailler, et dont le souvenir suffirait à me faire aimer l’Angleterre et son brouillard, - c’est Verlaine, arrivant de Bruxelles, qui frappe à ma porte. Il est beau à sa manière, et quoique fort peu pourvu de linge, il n’a nullement l’air d’être terrassé par le sort. Nous passons des heures charmantes. Mais il n’est pas seul. Un camarade muet l’accompagne, qui ne brille pas non plus par l’élégance. C’est Rimbaud. »

C’est lors de ce séjour à Londres que Verlaine et Rimbaud composèrent les fameux pastiches de François Coppée, aussi reproduits dans Verlaine Dessinateur.



À la mort de Verlaine au début de l’année 1896, Félix Régamey prévoit la publication de son hommage au Prince des Poètes. Il récupère de son frère la lettre qu’il lui a envoyée 24 ans plutôt. Seulement, le croquis « sur le vif » (ou presque) de 1872 manque de contexte. Rien n’indique où ce double portrait a été fait.

Il reprend donc son dessin que, sans doute, il surligne à l’encre noire pour, peut-être, en faciliter la reproduction. Puis, afin que la localisation de la scène soit évidente, il ajoute en arrière-plan, à l’encre bistre, un « bobby » et signe son dessin de son monogramme.

On remarque également sur le dessin des taches d’oxydation qui semblent être des repentirs de Régamey en vue de la reproduction ; par ailleurs, une note au crayon « tel » (pour "tel quel") en haut à gauche du dessin sert vraisemblablement d’indication au technicien en charge de la reproduction pour Verlaine Dessinateur. Malgré cette indication, il apparait que Rimbaud a été très légèrement redressé.

Il existe également une copie plus tardive du dessin, sans le texte de la lettre, qui fut présentée lors de l’exposition Rimbaud, portraits, dessins, manuscrits, au musée d’Orsay, en 1991-1992 (catalogue p. 23, fig 50, provenant de la collection Lucien Scheler).

Félix Régamey, Verlaine Dessinateur, 1896 ; Jean-Jacques Lefrère, Arthur Rimbaud, 2001, pp. 493-561 (dessin reproduit dans les cahiers illustrés sur papier glacé).



Félix Régamey, témoin privilégié de « l’odyssée » de Paul Verlaine et Arthur Rimbaud.

Cette lettre, demeurée inconnue, contrairement au dessin publié par Régamey lui-même et de nombreuses fois reproduit, donne quelques informations ou précisions sur la date d’arrivée de Verlaine et Rimbaud à Londres, après leur fuite de Paris vers Bruxelles le 7 juillet, pour leur « odyssée » d’un an. Verlaine délaissa alors femme et enfant pour vivre une vie de bohème avec l’hypnotisant adolescent. Jean-Jacques Lefrère indique que la date d’emménagement du « drôle de ménage » à Howland Street n’est pas connue précisément, mais on sait qu’ils s’installèrent dans la chambre d’Eugène Vermersch après son mariage qui eut lieu le 5 septembre 1872. Régamey mentionne Vermersch et son mariage, et au 13 septembre 1872, cela fait « trois jours » qu’il a Verlaine et Rimbaud « sur le dos ». Il est donc fort probable que leur installation se fit entre le 10 et le 15 septembre.



Il est intéressant de noter la différence de ton entre la description et la représentation de Verlaine et celle de Rimbaud.

Félix Régamey connait Paul Verlaine et Arthur Rimbaud par les dîners des « Vilains Bonshommes ». C’est au cours d’un de ces dîners en 1871 que Rimbaud fut présenté par Verlaine au monde littéraire parisien puis lors d’une autre fameuse réunion du groupe, le 2 mars 1872, qu’il fut expulsé non sans résistance et fracas après avoir provoqué un scandale en interrompant Auguste Creissels dans la déclamation de ses vers. Suite à cela, la réputation de Rimbaud auprès des amis de Régamey, déjà peu envieuse malgré une reconnaissance unanime de son « génie », n’alla qu’en se dégradant. La nouvelle de la “fuite” de Verlaine, marié et père de famille, avec un adolescent provocateur de dix ans son cadet, et la nature de leur relation particulière, a forcément été rapportée à Régamey qui paraît très au fait des événements parisiens.

Régamey décrit donc Rimbaud comme étant « hideux ». S’il dessine Verlaine droit et élégant, Rimbaud est petit, voûté, arborant une moue agressive. Il reste néanmoins bien reconnaissable.



Pourtant, Félix Regamey reste un des témoins-clés de la relation entre Rimbaud et Verlaine. Outre, les « Vilains Bonshommes » et leur passage à Londres à l’automne 1872 durant lequel Régamey leur fournit un logement, on sait que parmi les quelques exemplaires d’Une Saison en Enfer que Rimbaud put payer à l’imprimeur Poot de l’Alliance typographique à Bruxelles, il en destina un à Félix Régamey. Jean-Jacques Lefrère explique : « dans les derniers mois de 1873, Rimbaud, désireux de faire connaître la plaquette qu’il venait de faire imprimer, adressa ou fit communiquer quelques exemplaires à divers amis : Verlaine, Forain, Richepin, Ponchon, etc. Le présent exemplaire, qui resta longtemps dans le secret de la collection [Claude] Guérin, contient une bande de papier sur laquelle on déchiffre une adresse qui est celle de l’atelier de Régamey : 16, Langham Street, à Soho, c’est-à-dire à deux pas de la chambre que Verlaine et Rimbaud avaient occupée dans la Howland Street ». (J.J. Lefrère, Arthur Rimbaud. Correspondance, 2007, p. 169).



Provenance : la lettre fut adressée à Frédéric Régamey puis revint entre les mains de Félix en vue de reproduire le dessin dans son ouvrage Verlaine Dessinateur. Elle fut ensuite sans aucun doute rendue à Frédéric Régamey. Par descendance aux propriétaires actuels.

Adresse de l'enchère CHRISTIE'S
9 Avenue Matignon
75008 Paris
France
Aperçu
29.10.2020 – 02.11.2020
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Fax +33 (0)1 40 76 85 86
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