BAKOUNINE, Mikhaïl (1814-1876)

Лот 56
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Лот 56 | BAKOUNINE, Mikhaïl (1814-1876)
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BAKOUNINE, Mikhaïl (1814-1876)
Lettre autographe signée à Pierre-Joseph Proudhon, datée "Cöthen, le 12 décembre 1848"

3 pp. in-8 (211 x 135 mm) sur un bifeuillet remplié. Encre noire. (infimes taches)

Touchant témoignage d'amitié entre deux penseurs majeurs de l'anarchisme, au lendemain de la révolution de 1848

"La révolution est immense, les événements gigantesques, mais les hommes sont infiniment petits, voilà le caractère de notre temps" : extraordinaire lettre dans laquelle transparaît toute la ferveur révolutionnaire de Bakounine

Mikhaïl Bakounine et Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) font connaissance à Paris, au cours de l'été 1844 – une rencontre décisive pour les deux théoriciens du socialisme libertaire, qui marqua le début de discussions passionnées. Proudhon est le premier penseur à se réclamer de l'anarchisme, terme qu'il entend comme “l'absence de maître, de souverain”. La présente lettre semble être la première envoyée par Bakounine à Proudhon depuis un long moment, et notamment la première suivant la Révolution de 1848 : "Citoyen, Je ne sais si vous vous rappelez encore de moi ; quant à moi, dans mes longues pérégrinations à travers l'Allemagne et dans les pays slaves, j'ai bien souvent pensé à vous. Vous n'êtes pas de ceux qu'on oublie."

Ayant assisté au soulèvement populaire dans la capitale, Bakounine félicite Proudhon pour son engagement aux côtés des insurgés : "Je ne saurais vous exprimer le sentiment de joie que j’ai éprouvé lorsque je vous ai vu, après les journées fatales de juin, monter à la tribune pour défendre les intérêts et les droits de ces nobles et malheureux ouvriers de Paris, que tout, tous, excepté vous, avaient abandonnés" Il fait référence à la répression sanglante de la révolte ouvrière des 22 au 26 juin 1848, pour protester suite à la fermeture des ateliers nationaux. Alors député de la Seine, Proudhon prononce plusieurs discours remarqués prenant la défense du prolétariat : "Les discours que vous avez prononcés alors furent plus que des discours, ce furent des actes. Vous avez osé dire la vérité aux bourgeois réunis dans votre assemblée nationale, dans un moment où tout le monde était devenu hypocrite ; on vous a injurié, on a essayé de se moquer de vous, mais ce rire était forcé et les bourgeois ont tremblé malgré eux." En effet, le 31 juillet 1848, la proposition de Proudhon visant à instaurer la gratuité du crédit provoque d'abord l'hilarité générale, les moqueries se muant bientôt en exclamations d'horreur : "C'est la guerre sociale !" "C'est le 23 juin à la tribune !"

Après avoir dû se replier à Berlin et Dresde, jusqu'à la principauté d'Anhalt-Köthen depuis laquelle il rédige cette lettre, Bakounine partage son analyse comparée des situations politiques en France et en Allemagne : "La bourgeoisie allemande est presque pire que la bourgeoisie française ; celle-ci est franchement cynique, tandis que l'autre est sentimentale [...] toutes les deux ne valent rien et toutes les deux doivent être envoyées au diable." Il pressent l'arrivée d'un nouveau soulèvement du peuple en Allemagne : "La révolution n'est pas finie en Allemagne ; nous avons eu la fin de la révolution bourgeoise, au printemps d'après toutes les apparences nous aurons le commencement de la révolution populaire", ce qu'il explique par la tendance plus révolutionnaire des campagnes allemandes, "encore soumis[es] aux droits féodaux" et nourissant "une haine puissante contre tous les employés". Bakounine se réjouit de ce peuple qui "s'agite déjà, et s'amuse à brûler les châteaux et à pendre les seigneurs." Il fustige le coût d'entretien des armées : "aujourd'hui en Prusse 2 millions d’écus plus de 7 millions de francs par semaine" et annonce une banqueroute généralisée et imminente : "Elle engloutira tout ; banqueroute d’états et banqueroute des particuliers. [...] Et vous savez que la banqueroute c'est la guillotine pour la bourgeoisie"

Bakounine indique joindre à sa lettre un exemplaire de l'Appel aux slaves qu'il vient de rédiger, incitant au soulèvement contre l'empire d'Autriche : "Vous verrez que nous poursuivons une idée très simple : la destruction des grands Etats. C'est ma conviction intime que les grands Etats et le despotisme sont inséparables." Il raconte avoir rencontré de nombreux admirateurs de Proudhon durant son séjour en Allemagne, et condamne tous les non-révolutionnaires : "Rien n’est plus difficile à l’heure qu’il est d’être vrai, c’est le siècle de l’hypocrisie et des hypocrites : hypocrites aristocrates, hypocrites libéraux, hypocrites démocrates, des hypocrites partout, et très peu d’hommes qui ayent le courage de s’avouer à eux-mêmes les dernières conséquences de leurs propres idées."

Bakounine revient enfin sur les raisons de sa présence en Anhalt-Köthen, avant de laisser des instructions pour lui répondre : “J’ai été expulsé des états prussiens à la demande réitérée du gouvernement russe et je me suis réfugié à Cothen d’où je puis facilement entretenir mes relations avec les Russes, les Polonais et les autres slaves.” Il conclut avec panache : “Adieu, portez-vous bien et que la révolution soit avec vous”

Provenance : Robert Gérard (sa vente, 19-20 juin 1996, n° 316)

Extraordinary letter highlighting Bakunin's revolutionary fervor, and a moving testimony to the friendship between two major anarchist thinkers, in the aftermath of the 1848 revolution. "Farewell, be well, and may the revolution be with you” - Bakunin to Proudhon
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